Union européenne : non à une dérégulation des nouveaux OGM !

Sous couvert d’avancées technologiques et de soutien à l’innovation, l’Europe propose de réglementer les végétaux obtenus par les nouvelles techniques génomiques (NTG, ou NGT pour New genomic techniques). Mais, derrière ce prétexte, elle s’apprête en réalité à libéraliser tout un énorme ensemble d’OGM. Explications. 

Que propose la Commission européenne ? 

Le 5 juillet dernier, la Commission européenne a proposé un règlement européen ( cf. le projet et ses annexes en anglais ; la FAQ associée en français) sur les végétaux obtenus par certaines nouvelles techniques génomiques. Ce règlement répartit les NGT, apparues depuis la directive européenne de 2001 sur les OGM, en 2 catégories : 

• catégorie 1 : celles qui produisent, avec maximum 20 modifications, des plantes qui pourraient (en théorie mais dans des pas de temps coévolutifs absolument différents) également être produites naturellement ou par sélection conventionnelle. Sont notamment visées la mutagénèse dirigée (modification de génome d’une plante sans insertion de matériel génétique étranger, par ex. à l’aide du ciseau génétique CRISPR/Cas), la cisgénèse (introduction dans une espèce de gènes en provenance de la même espèce ou d’une espèce apparentée) ou l’utilisation combinée de ces techniques ; 
• catégorie 2 : toutes les plantes avec plus de 20 modifications par mutagénèse ou cisgénèse. 

Si toutes les plantes issues des NGT seront répertoriées dans une base de données et leurs semences étiquetées, la proposition de règlement considère uniquement les plantes produites par les NGT de catégorie 2 comme des OGM et les soumet à la législation existante (autorisation, traçabilité, étiquetage). 

Les plantes issues des NGT de catégorie 1 ne seraient pas considérées comme des OGM et de fait, seraient uniquement soumises à une procédure durant 30 jours au cours de laquelle l’autorité compétente vérifiera que les 5 critères d’équivalence fixés par l’annexe 1 du texte (annexe que la Commission européenne pourra modifier à loisir) sont respectés. A l’issue de cette procédure, qui prévoit également une information des Etats membres et de la Commission européenne, ces plantes pourraient être utilisées et cultivées sans mesure de traçabilité ni d’étiquetage pour les consommateurs et consommatrices finales. 

Quels sont les enjeux des NGT ? 

A l’instar des autres techniques produisant des OGM, les NGT prétendent modifier le génome d’une plante cultivée (maïs, blé, tomate, pomme de terre, etc.) pour « l’améliorer » : parmi les nombreuses promesses régulièrement ressorties des tiroirs, et jusqu’à présent presque jamais tenues, figurent par exemple le fait de la rendre plus résistante aux organismes nuisibles et aux maladies, plus tolérante au stress environnemental (y compris au changement climatique), moins dépendante aux pesticides et engrais… ou encore de modifier ses qualités nutritionnelles, son goût ou sa texture. 

Des telles améliorations pourraient apparaître naturellement et être détectées par sélection variétale. Mais cela prendrait un temps bien plus important : celui nécessaire à la coévolution des espèces. Ainsi, le blé résistant à l’oïdium produit via les NGT, nécessite trois mutations bien précises. Trouver un blé présentant naturellement ces trois mutations demanderait d’examiner tous les grains de blé produits dans le monde pendant 4 millions d’années ! 

Les NGT se vantent donc de générer les mêmes mutations que les mutations aléatoires naturelles, mais de manière rapide et précise. De fait, avec la proposition de la Commission européenne, les plantes NGT seraient considérées comme équivalentes et utilisables de la même manière que les plantes traditionnelles, sans évaluation des risques… 

Ceci est scientifiquement faux et éthiquement inacceptable :  

• Une plante ne peut être réduite à la séquence du gène d’intérêt. Un gène s’exprime dans un ensemble d’une immense complexité (les autres éléments de la cellule, de l’organisme, du biotope, etc.). C’est la coévolution de cet ensemble qui lui permet de fonctionner de manière cohérente. Un gène ne fonctionne pas nécessairement dans un contexte étranger et pas forcément de la même façon pour les plantes issues de NGT que pour les anciens OGM : les risques sanitaires ou environnementaux (apparition de résistance chez les ravageurs, transmission des gènes à la flore sauvage, toxicité pour la faune, etc.) ne peuvent être totalement écartés, comme la science l’a déjà démontré. 

• Les modalités d’obtention sont importantes. Au-delà des risques à évaluer, il y a aussi l’aspect éthique à prendre en considération pour défendre la liberté de chacune et chacun d’entre nous. Imaginons deux chemises identiques quant aux matières utilisées, la forme et les couleurs. L’une est fabriquée en Europe, dans les conditions du droit du travail en vigueur, l’autre est produite par des enfants-esclaves en Asie. Sont-elles identiques ? Le consommateur n’a-t-il pas le droit d’avoir des informations qui guident son choix, non pas uniquement en fonction de la toxicité de la chemise pour lui, mais également pour d’autres considérations, notamment éthiques, relevant de sa propre liberté ? 

Quelles sont nos critiques et propositions ? 

Reprenant les orientations et les affirmations du secteur des biotechnologies, la proposition partiale de la Commission européenne repose sur un principe scientifiquement et éthiquement contestable : les NGT ne permettent pas d’obtenir des résultats équivalents aux mutations naturelles. Quelle qu’elle soit, une manipulation génétique doit faire l’objet d’une évaluation de ses incidences économiques, environnementales et sociales ! 

De plus, contrairement à ce qu’affirment les industriels de la biotechnologie, l’identification des NGT est possible. Une traçabilité et un étiquetage le sont par conséquent aussi. Sans cette traçabilité et cet étiquetage, comment garantir que l’agriculture biologique ou nos assiettes seraient effectivement exemptes de NGT ? Ces éléments sont indispensables pour garantir la liberté de produire et consommer avec ou sans NGT. 

De même, le texte ne réglemente pas les questions de propriété intellectuelle à ce stade, les renvoyant à une évaluation à venir d’ici 2026. Dans l’intervalle, rien ne protègerait le droit des agriculteurs et semenciers (autres que les détenteurs de brevets) à utiliser les plantes pour produire leurs propres semences (par exemple en cas de pollution par les NGT de leurs récoltes). 

Enfin, le plus inquiétant est que la Commission européenne justifie ces NGT en affirmant qu’elles permettraient d’avoir une agriculture durable ! Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. Mais, plus fondamentalement, peut-on multiplier les innovations et les disséminer dans les systèmes naturels et sociaux dans lesquels nous vivons, sans considération pour leur organisation, leur évolution et leur histoire ? Pour France Nature Environnement, le développement de systèmes agricoles réellement durables (répondant aux enjeux de sécurité alimentaire et sanitaire et de stabilité sociétale notamment) s’appuie sur la biodiversité, en application du concept « Une seule santé » (humaine, animale, végétale et écosystémique). Approche avec laquelle l’usage généralisé des biotechnologies est incompatible. 

Vous souhaitez donner votre avis ? La proposition de règlement adoptée par la Commission européenne est soumise à consultation du public jusqu’au 5 novembre 2023. Cliquez sur le bouton ci-dessous puis sur « Donnez votre avis », et laissez-vous guider (NB : s’il s’agit de votre première contribution, la création d’un compte vous sera demandée). 

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