La France entrave l'accès à la justice des associations : nous saisissons les Nations Unies

France Nature Environnement, Greenpeace France et la Sphinx ont saisi l’ONU pour dénoncer des restrictions d’accès à la justice des associations. Nous dénonçons également de graves dysfonctionnements de la justice rendue par le Conseil constitutionnel, où siègent deux anciens ministres à la fois juges et parties. Du projet de Total Energies de s’implanter à Polytechnique jusqu’à Genève, retour sur un combat crucial pour la démocratie environnementale.

Au départ un combat : les étudiants de polytechnique contre le géant pétrolier Total

Un bâtiment de Total implanté au cœur d’un campus public

Notre histoire débute au sein de l’École polytechnique à Saclay (Essonne) où Total Energies désire implanter un bâtiment de 10 000 m2 dans l’enceinte du campus. Le bâtiment emploierait près de 400 personnes, salariées de Total Energies…

Un projet prévu à 50 mètres de la cantine de l’École polytechnique, fréquentée par l’ensemble du personnel, des scientifiques, des élèves et du corps enseignant, ainsi qu’à̀ 200 mètres des logements des élèves…

Une possible prise illégale d’intérêts

En avril 2021, le maire de Palaiseau délivre le permis de construire donnant pignon sur rue à la multinationale. Le tout sur fond d’une possible prise illégale d’intérêts : Patrick Pouyanné, PDG de Total, est également membre du conseil d’administration de l’École polytechnique !

Il en aurait profité pour intervenir au nom de Total et peser sur la décision finale d’implantation au cœur du campus. Une plainte a été déposée par Greenpeace, Anticor et la Sphinx.

L’affaire suit son cours pour faire la lumière sur ce possible détournement des intérêts d’une institution publique pour des intérêts privés…

La Sphinx, association d’étudiants contre un géant pétrochimique

Opposée au projet en raison de ses impacts sur l’environnement et parce qu’il contrevient à la mission de l’École polytechnique, l’association des élèves “La Sphinx” a saisi la justice en juillet 2021.

Le combat juridique était lancé, mais c’était sans compter sur une nouvelle loi qui a été utilisée contre l’association des étudiants par le géant pétrolier devant le juge.

Urbanisme : des restrictions successives d’accès à la justice contre la société civile

La loi Elan empêche les associations de contester certaines autorisations

Depuis plusieurs années, plutôt que de s’assurer que les projets d’urbanisme soient mieux conçus, le législateur s’est évertué à accélérer les procédures d’urbanisme, complexifier les règles du contentieux et rendre la justice moins accessible pour les associations…  

Parmi les dernières restrictions en date, celle de l’article L. 600-1-1 du Code de l’Urbanisme modifié par la loi « ELAN » : au prétexte de lutter contre les recours abusifs, cette loi établit que, pour pouvoir agir contre une autorisation d’urbanisme, une association doit avoir déposé ses statuts au moins un an avant l’affichage de la demande d’autorisation.

Quel lien avec la lutte contre les recours abusifs ? Strictement aucun : la durée d’existence d’une association n’a aucun rapport avec le fait qu’une autorisation d’urbanisme ait été délivrée illégalement. En revanche, ces modifications législatives intervenues en 2018 empêchent tout simplement certaines associations (de riverain·es par exemple) de déposer des recours légitimes.

Une loi utilisée pour justifier l’implantation d’une multinationale sur un campus public

Cette nouvelle restriction de la loi « ELAN » a été invoquée par Total Energies pour empêcher l’association des étudiant·es de l’École polytechnique de contester son permis de construire.

En première instance, l’action en justice des étudiant·es a été rejetée, en invoquant le fait que le dépôt des statuts modifiés de l’association était intervenu moins d’un an avant l’affichage en mairie de la demande d’autorisation d’urbanisme de Total.

Une situation incroyable car La Sphinx existait bel et bien depuis 2017, avait déjà intérêt pour agir, et venait de déposer de nouveaux statuts, intégrant la protection de l’environnement.

Suite à ce rejet, l’association a décidé de porter son affaire jusque devant le Conseil constitutionnel. Car cette nouvelle disposition porte une atteinte à ses droits et libertés (garantis par la Constitution) : la liberté d’association ainsi qu’à son droit au recours. L’histoire prend alors un nouveau tournant, encore plus choquant.

Conseil constitutionnel : Un dysfonctionnement inquiétant de la justice

Le droit au recours des associations restreint sans justification claire

Suite à la transmission de la question au Conseil, France Nature Environnement intervient dans l’affaire pour défendre l’accès à la justice des associations de protection de l’environnement et faire déclarer la loi contraire à la Constitution.

Face à nous, le Gouvernement a d’abord avancé que la restriction poursuivait un objectif de sécurité juridique et de lutte contre les recours abusifs. Sauf qu’il n’existe strictement aucun lien entre la durée d’existence d’une association et un recours qui dérange inutilement la justice.

Devant le Conseil, le Gouvernement a ensuite prétendu qu’il y avait une explosion des actions en justice contre les autorisations d’urbanisme et que cela engorgeait les tribunaux. France Nature Environnement a apporté la preuve du contraire en se servant des rapports du Gouvernement lui-même. Chaque année, on dénombre en moyenne 1,5 million de demandes d’autorisation d’urbanisme et 98% ne font l’objet d’aucun recours.

Malgré ces éléments factuels, à notre grand étonnement, par décision du 1er avril 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré la loi ELAN conforme à la Constitution.

D’anciens ministres à la fois juges et parties

Pourquoi cette décision est-elle problématique ? Deux anciens ministres, Jacqueline Gourault et Jacques Mezard, se sont prononcés dans cette affaire en tant que juges au Conseil constitutionnel. Or, ce sont eux qui ont porté et soutenu publiquement la nouvelle restriction imposée par l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme au Gouvernement.

A la fois parties, puis juges dans l’affaire, ils ont déclaré constitutionnelle la disposition qu’ils avaient eux-mêmes défendue comme ministres, disposition qui restreint l’accès à la justice des associations.

Le Conseil constitutionnel n’a donc pas respecté la condition première du droit au procès équitable : celle d’avoir accès à un juge impartial.

Malgré ce doute sur l’impartialité des juges, aucun recours ne permet de contester cette décision du Conseil Constitutionnel, qui entérine sans vraiment la motiver une nouvelle restriction des droits de la société civile.

Le Conseil Constitutionnel bafoue l’exigence fondamentale d’impartialité de la justice

Si cette situation a pu se produire dans le cadre de cette procédure,  c’est parce que le règlement intérieur du Conseil prévoit que « le fait pour un membre du Conseil constitutionnel d’avoir participé à l’élaboration de la disposition législative faisant l’objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas une cause de récusation. ».

Autrement dit, le règlement intérieur part du principe que les membres du Conseil Constitutionnel sont forcément impartiaux, même s’ils examinent une loi qu’ils ont eux-mêmes portée ou rédigée.

Le droit à un jugement impartial est la condition même d’un bon fonctionnement de la justice dans une société démocratique. Pourtant, cette condition n’est aujourd’hui pas respectée par ceux qui prétendent être les gardiens de nos droits fondamentaux.

Pour une vraie justice constitutionnelle, nous saisissons les Nations Unies

Dernier chapitre de l’histoire à ce jour, France Nature Environnement et Greenpeace France saisissent le dernier recours qui leur reste : le Comité d’Aarhus. Celui-ci est chargé d’examiner le respect des dispositions de la Convention d’Aarhus par la France.

La Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée le 25 juin 1998, est un accord international visant la « démocratie environnementale ».

Elle protège et poursuit plusieurs objectifs, dont celui de favoriser l’accès à la justice des associations en matière d’environnement. Cet accès à la justice implique qu’un recours doit pouvoir être porté devant une instance indépendante et impartiale.

Parce que les restrictions d’accès à la justice et l’absence d’impartialité du Conseil constitutionnel chargé d’examiner des recours contre des lois relatives à l’environnement viole directement la Convention les associations ont décidé de saisir l’ONU.

Avec ce dernier recours, nous défendons le droit d’accès à la justice des associations en matière d’environnement et souhaitons à terme obtenir la mise en place d’une vraie justice constitutionnelle. 

Le Comité a déclaré recevable l’action de nos associations en décembre 2022. Au mois de juillet 2023, la France a répondu par l’intermédiaire de sa Représentation permanente auprès des Nations Unies : elle estime qu’il n’y a aucun problème avec les restrictions d’accès à la justice, ni s’agissant de la partialité des juges constitutionnels.

Pour Antoine Gatet, Président de France Nature Environnement : « FNE s’est largement saisie de la question prioritaire de constitutionnalité pour défendre l’environnement devant le Conseil constitutionnel et entre 2010 et 2019, elle a été impliquée dans une trentaine de dossiers contentieux. Nous avons pu remporter de grandes victoires devant cette institution. Toutefois les droits constitutionnels, y compris ceux de la Charte de l’environnement, ne seront pas pleinement effectifs tant que la justice constitutionnelle ne présentera pas les garanties d’indépendance et d’impartialité attendues dans une société démocratique. »

La procédure suit désormais son cours à Genève.

Consulter la procédure entièrement accessible au public

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