Projet de mine de lithium : FNE fait le bilan du débat public

Après 4 mois d’intenses échanges sur le projet de mine de lithium dans l’Allier (projet EMILI), le débat public sera officiellement clôturé le 31 juillet 2024.

• Quel bilan peut-on faire de ce débat public, tant sur la manière dont il s’est déroulé que sur les idées de fond qui en sont ressorties ?
• Que penser du positionnement de l’État sur ce projet ?
• Les politiques métaux et mobilité de l’État sont-elles à la hauteur des enjeux ?
• Comment se positionne FNE à la suite de ce débat public ?
• Quelles sont les prochaines échéances à la suite de ce débat public ?

Toutes les réponses dans cet article.

Une forte mobilisation de la fédération FNE !

FNE a été un des moteurs du débat public sur le projet EMILI :

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Le sujet a fait l’objet d’une assez importante couverture médiatique, et la plupart des publications retranscrivent relativement bien les enjeux du débat public. Mais force est de constater qu’un certain nombre de sorties médiatiques pêchent sur plusieurs points : erreurs factuelles, mauvaise retranscription des opinions des uns et des autres, difficultés à dépasser une couverture superficielle des débats et à élever les enjeux au-delà des questions territoriales…

Face à la relance minière qui s’annonce, une montée en compétence collective sur ces enjeux est impérative pour garantir un bon niveau dans les discussions collectives. Cela passe par des grands moments d’échange, comme l’organisation de débats comme celui-ci qui permet d’élever le niveau de connaissances général sur un projet spécifique. Les associations de protection de l’environnement et de la nature, par leur expérience du passif minier de la France et leur connaissance des territoires, jouent également un rôle majeur dans la sensibilisation et l’apport d’un regard critique sur ces évolutions.

Notre analyse

Sur la forme du débat

Le débat public portant sur le projet EMILI a permis de :

• Susciter de l’intérêt et de l’attention vis-à-vis du projet EMILI auprès de publics variés (plus de 3500 participant.es au débat, un excellent chiffre !)
• Donner la parole à un maximum de parties prenantes sur ce projet, du côté des expert.es comme du côté des citoyen.nes. Un grand nombre n’appartenait à aucune structure organisée, et ont pu s’exprimer en leur nom propre.
• Prendre connaissance de l’état d’avancement du projet sous différents enjeux : économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires…

Le débat public a pu évoluer au fil des réunions en fonction des besoins identifiés par la Commission Particulière du Débat Public (CPDP).

L’organisation de ce débat public a permis d’aménager un espace d’information et d’échange qui était fortement attendu, comme le montre la forte participation. Ce débat public a créé une opportunité pour discuter collectivement de l’avenir du territoire, et amorcer une discussion sur des sujets qui ne concernent pas que l’Allier, mais l’ensemble du pays : la réindustrialisation, la consommation de métaux, la souveraineté, la sobriété, l’avenir de la mobilité sont autant de thématiques qui ont émergé de ce débat.

Si le débat a particulièrement bien pris dans les territoires concernés, il ne semble pas avoir suscité la même résonance au-delà de la région Auvergne Rhône-Alpes. Pourtant, l’ensemble des citoyens et des citoyennes est bien concerné et a son mot à dire sur ce projet d’une ampleur nationale.  

Les débats citoyens comme celui organisé pour le projet EMILI sont essentiels à une réindustrialisation de la France basée sur l’acceptabilité des projets industriels. Ils participent à construire des opinions éclairées sur les projets. Exclure des projets d’une telle envergure du périmètre de la CNDP serait un déni de démocratie environnementale.

Sur le fond du débat

Les informations obtenues

Des avancées d’accès à l’information sur plusieurs points sont à noter : la localisation des différents sites, les différentes étapes d’extraction et de transformation, les réactifs utilisés, les perspectives d’après-mine… Mais des incertitudes demeurent sur des points importants : le devenir des déchets miniers, les impacts réels sur la biodiversité et les dérogations espèces protégées à venir, les procédés techniques…

La dimension nationale du projet

Certaines problématiques nationales ont été abordées notamment lors de la réunion à Paris le 9 avril 2024, organisée par la CNDP sur le lithium et la souveraineté de la France. Les meilleurs usages des métaux issus du sous-sol, les choix de mobilité pour la France, la relance minière, les alternatives aux projets miniers… ces enjeux auraient dû être davantage mis en avant par le cadre du débat. FNE regrette néanmoins que chacune de ces problématiques n’ait pas fait l’objet d’une session entière de discussions et mises en débat. Cela n’est qu’après avoir approfondi ces questions qu’il est possible d’évaluer l’opportunité d’un projet de mine de lithium en France.

Le public a lui aussi reconnu l’importance de ces sujets dans la compréhension de l’opportunité du projet, et les a fait émerger à de multiples reprises lors des réunions publiques ou sur la plateforme en ligne. Par exemple, les participant.es ont soulevé à plusieurs reprises l’enjeu de la sobriété : quelle sobriété des métaux pour la France ? Quels choix de mobilité voulons-nous faire pour être en cohérence avec les défis de la transition écologique ?

Un débat qui montre un besoin d’aller plus loin dans le débat sur la relance minière

Le débat public sur le projet EMILI a soulevé un certain nombre de questions qui mériteraient d’être approfondies dans le cadre d’un échange national. FNE réitère sa demande de mettre en place un débat national sur la relance minière en France et les conditions de l’exploitation de notre sous-sol en amont du débat public sur ce projet : pourquoi une relance minière en France ? A quelles conditions accepter des projets miniers en France ?

La position de FNE sur le projet EMILI à la suite du débat public

FNE estime que l’opportunité du projet EMILI n’est pas avérée aujourd’hui en raison d’un contexte social et écologique fortement défavorable :

• L’État n’a pas de trajectoire chiffrée de réduction de la consommation des métaux
• La stratégie publique actuelle de mobilité n’est pas compatible avec la transition écologique
• Les conditions d’exploitation des ressources publiques du sous-sol français n’ont pas été discutées dans le cadre d’un vaste débat démocratique
• Si le débat public a permis d’éclaircir un certain nombre de points, des insuffisances demeurent en ce qui concerne les impacts environnementaux du projet

Dans de telles conditions, le projet EMILI ne sera que la continuité d’un modèle d’extraction à l’infini qui ignore les limites planétaires. Ce projet risque aussi de nourrir un modèle de mobilité reposant sur la généralisation de la voiture individuelle électrique et à l’augmentation de véhicules électriques lourds dont l’impact écologique est considérable. Sans être opposée à la relance minière, FNE demande que l’État réunisse les conditions sociales et environnementales indispensables pour qu’elle se déroule dans des circonstances acceptables tant pour le vivant que pour les humains.

L’État et le débat public

Un État absent du débat public…mais présent dans les médias pour soutenir aveuglément le projet

L’État a été absent dans ses prises de parole durant la quasi-totalité des 5 mois du débat public : 1 intervention en avril et 2 autres en juillet, après de multiples demandes de la CNDP. Ces interventions ont été réalisées par Benjamin Gallezot, Délégué Interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques, et Pascale Trimbach, Préfète de l’Allier, intervenue uniquement durant les dernières semaines du débat. Pascale Trimbach a justifié son absence au motif qu’elle souhaitait que le débat suive son cours et que les discussions avancent sans son intervention avant de se positionner.

Paradoxalement, ce retrait du débat public ne l’a pas empêchée d’exprimer ouvertement et à de multiples reprises son soutien public à ce “projet 100% Allier” avant et pendant le déroulement du débat public.  

L’État n’a jamais caché son soutien au projet : dès l’annonce du projet d’une mine qui produirait 34 000 tonnes de lithium par an en octobre 2022, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, avait déjà salué l’exemplarité du projet sur le plan environnemental. Mais comment pouvait-il en être aussi sûr alors que le maître d’ouvrage lui-même n’avait pas encore la connaissance des méthodes d’extraction qu’il souhaitait utiliser et donc des impacts environnementaux à prévoir sur la nature et la ressource en eau notamment ? Parce que l’État s’est fait le porte-parole du projet du premier jour de l’annonce du projet jusqu’à aujourd’hui, en parlant du projet comme s’il était déjà fait, beaucoup ont eu l’impression que le débat était plié d’avance, et que le projet irait jusqu’à son terme peu importe les inquiétudes et suggestions d’amélioration remontées.

Les citoyen·nes ont pu s’exprimer mais n’ont pas eu la preuve d’avoir été entendu·es. Cela engendre de la frustration, du découragement, et un rejet des institutions, d’autant plus que beaucoup se sont fortement investi.es depuis le lancement du débat public.

Sur le fond, un État qui a échoué à présenter une vraie stratégie nationale de transition écologique

Les 3 interventions des représentant.es de l’État ont échoué à parler des vrais enjeux qui sous-tendent ce projet :

• La réduction de la consommation de métaux a complètement été écartée des débats, alors qu’une telle stratégie est incontournable face à la réalité de l’urgence climatique : la France consomme déjà deux fois trop de métaux dans une limite durable de la consommation, alors que les tendances tablent sur un doublement de l’empreinte métal d’ici 20503.
• La sobriété n’a été présentée que comme une option de deuxième plan au profit d’une augmentation et d’une accélération de la consommation de métaux.
• L’État a échoué à démontrer une vraie stratégie de mobilités durables : quelle politique de mobilité en faveur de véhicules légers ? Comment limiter la massification du nombre de véhicules électriques lourds ? Quelles mobilités alternatives ? Quelle stratégie pour un report modal plus systématique ? Aujourd’hui, il n’y a aucune garantie que ce lithium ne servira pas à alimenter les batteries des SUV électriques dont l’impact en termes de consommation de matériaux, d’énergie et d’empreinte carbone est à l’opposé des trajectoires de transition écologique.

L’État cherche à promouvoir un passage de l’ère du carbone à l’ère des métaux sous couvert de souveraineté et de transition écologique. Cependant, cette posture fondée sur la substitution des technologies à forte émissions carbone par des technologies à forte consommation de métaux ignore la pression exercée par l’extraction et la transformation des ressources naturelles sur l’environnement. Forcer la surextraction comme un impératif pour atteindre les objectifs de décarbonation serait dangereux pour la préservation de la biodiversité, des sols, de l’eau… La transition écologique ne doit pas compenser la diminution des émissions carbone par une explosion de l’extraction des ressources naturelles.

La qualification d’intérêt national majeur du projet EMILI : un énième coup de massue porté au débat public

Le 5 juillet, soit moins d’un mois avant la fin du débat public, un décret ministériel donne la qualification de “projet industriel d’intérêt national majeur” au projet EMILI, aux côtés de trois autres grands projets. Cette qualification répond au descriptif de la loi. Ce sont les administrations nationales décentralisées qui proposent les projets après accord des collectivités territoriales. Cela va permettre :

• D’accélérer la mise en compatibilité du projet avec les documents d’urbanisme
• De raccorder plus rapidement les sites aux réseaux électriques
• De faciliter l’obtention de la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées pour le maître d’ouvrage

Si prendre cette décision ne préjuge en rien dans le droit de la poursuite du projet, elle donne néanmoins une nouvelle fois l’impression que l’État ignore les inquiétudes que suscite le projet : la démocratie environnementale en ressort fragilisée.

Nos attentes pour la suite du débat :

• Une liste précise et détaillée des changements effectués sur le projet à la suite du débat : il a été mentionné à plusieurs reprises lors des dernières réunions publiques que le projet prendrait fortement en compte les demandes et suggestions qui ont émergées. Le budget du projet aurait été augmenté de 20% à la suite du débat public. FNE souhaiterait donc être informée de la teneur de ces changements : sur quelles dimensions du projet portent-ils ? En quoi ces changements participeront à une réduction de l’impact du projet sur l’environnement et la ressource en eau ? Le bilan de la CNDP devrait permettre de lister les demandes de précision et les recommandations.
• Une concertation citoyenne soutenue post-débat public et incluant systématiquement les associations environnementales : un certain nombre d’instances d’information et de concertation ont été annoncées lors de la dernière réunion du débat public, à la fois par l’État et par le porteur de projet. FNE demande que les associations de protection de l’environnement et de la nature reçoivent les informations transmises et soient intégrées à la prise de décision, à la fois du côté du pilotage de l’État, mais aussi du côté du porteur de projet. Les contours de ces comités et groupes de travail restent à définir. Un point de vigilance est également à porter sur le nombre d’instances créées : quelle transversalité entre les différentes instances ? Quelle responsabilité de ces comités ? Quel impact ? Quel risque relatif à la dilution de l’information ?
• FNE renouvelle sa demande d’un positionnement de l’État en faveur d’une stratégie de réduction de la consommation de métaux, et le lancement d’un débat national sur la relance minière.
• Si le projet se poursuit : FNE demande au porteur de projet d’accroître la transparence et la disponibilité de l’information, et une meilleure prise en compte des parties prenantes, et notamment des associations de protection de la nature et de l’environnement
• FNE maintiendra sa vigilance sur la gestion des sites déjà exploités par IMERYS en France, alors même que la société a récemment dû verser des dommages et intérêts à FNE Midi Pyrénées en raison de rejets de matières polluantes dans un cours d’eau sur leur carrière de talc en Ariège.

Quelles sont les prochaines étapes du projet industriel ?

• Clôture officielle du débat : 31 juillet 2024
• Publication du compte-rendu et du bilan : 30 septembre 2024
• Décision du porteur de projet : au plus tard le 30 décembre 2024
• Avis de la CNDP sur la prise en compte de la parole du public dans cette décision (sur la réponse du porteur de projet)
• Ouverture de la concertation continue : immédiatement après la décision du porteur de projet, si le projet se poursuit, avec des garant.es de la CNDP, jusqu’à l’ouverture de l’enquête publique