Justice : décryptage des idées reçues sur le droit de l'environnement

Par petites touches, dans diverses lois et décrets, le Gouvernement complique l’accès aux tribunaux pour les associations et les citoyen·nes. Des délais raccourcis, des possibilités de faire appel supprimées, des conditions plus dures pour avoir le droit de faire un recours : autant de difficultés qui s’additionnent et pèsent sur nos associations. Les actions en justice sont décrites comme des obstacles au développement économique, semées sur la route des honnêtes entrepreneur·euses par des empêcheurs de tourner en rond. Alors, le recours en justice, bon ou mauvais moyen de protéger la planète ?

«Les personnes qui vont en justice sont procédurières»

Non ! Le droit de l’environnement, comme les autres branches de droit, pose des règles pour organiser la vie en société et préserver l’intérêt général. Quand, par exemple, l’activité d’une entreprise est susceptible de rejeter des produits polluants dans un cours d’eau, il est normal de lui demander de faire en sorte qu’elle ne pollue pas l’eau qui coule dans nos rivières et nos robinets. Lui demander de respecter ces règles, ce n’est pas être procédurier. C’est simplement demander à respecter des règles qui existent pour de bonnes raisons et qui doivent s’appliquer à tous de la même manière. C’est une question de respect des autres. C’est aussi lutter contre l’impunité de celles et ceux qui s’estiment au-dessus des lois ou qui placent leurs profits au-dessus de l’intérêt collectif.

En démocratie, saisir la justice est une manière saine de résoudre un conflit, lorsqu’il n’a pas été possible de la résoudre par la discussion en amont. C’est d’ailleurs pour cela que c’est un droit défendu par la Convention d’Aarhus, dont la France est signataire.

«Il y a plein de recours abusifs»

Faux. Depuis plus de 40 ans, l’accès à la justice est régulièrement réduit au prétexte de lutter contre les recours abusifs. Si des recours « maffieux » ou malveillants peuvent exister, toutes les études sur le sujet démontrent qu’ils restent marginaux, qu’ils ne concernent pas l’action des associations, et que le droit existant permet déjà de les sanctionner.

Ce prétexte retenu pour réduire l’accès à la justice est donc fallacieux. Le but réel est de diminuer les recours à la justice en général, notamment ceux des associations de protection de l’environnement et des citoyens riverains de projets immobiliers par exemple. Il ne s’agit plus alors de protéger des acteurs économiques contre des abus, mais bien de faire passer des intérêts économiques devant l’intérêt général et les lois environnementales.

Dans les faits, les juges donnent très souvent raison à nos associations. Cela montre bien qu’il ne s’agit pas de recours superflus, mais bien de veiller à la bonne protection de notre environnement et de notre santé par le droit. Mieux vaudrait que l’État soit plus rigoureux dans ses décisions, afin d’éviter de délivrer des permis illégaux ou des autorisations illégales, plutôt que d’essayer d’empêcher les citoyens de veiller à ce que le droit, protégeant l’intérêt général, soit appliqué.

«Aller en justice n’est pas la meilleure façon de défendre l’environnement»

Cela dépend. France Nature Environnement et son mouvement privilégient toujours le dialogue. Nous participons à des centaines d’instances de concertation et répondons à de nombreuses consultations, dans un esprit constructif, en faisant des propositions. Par ailleurs, les associations de notre mouvement mènent des milliers d’actions d’éducation et de sensibilisation tous les ans. Elles gèrent aussi de nombreux espaces naturels. Échanger, préserver, alerter, informer, expliquer : autant d’actions indispensables pour faire face à la crise écologique. Mais parfois cela ne suffit pas. Et l’urgence écologique nous donne une responsabilité : celle d’être efficaces. Et face à l’indifférence et au cynisme de certain.es, il est parfois indispensable que le hérisson sorte ses piques et aille défendre la nature et notre santé devant des juges ! Cela a été récemment le cas pour sauver de nombreux dauphins des filets de pêche.

«Saisir la justice, ce n’est pas le rôle des associations !»

Au contraire ! Quand il constate une pollution de la rivière au bord de laquelle il aime se promener, un individu est souvent démuni. Pas facile de s’y retrouver, de savoir quelles règles s’appliquent et auprès de qui en demander l’application, surtout si on n’est pas juriste ! Sans parler du coût de l’accès à la justice. Heureusement, une des 6 000 associations de France Nature Environnement est souvent à proximité. Elle peut fournir à ses bénévoles l’expertise juridique nécessaire pour les équiper pour leur combat. Pour signaler facilement ces atteintes à l’environnement à ces associations en tant que citoyen·nes, Sentinelles de la Nature a été créé en 2015.

Les associations de protection de la nature et de l’environnement agréées ont un accès facilité à la justice en raison de leur action d’intérêt général. Elles sont la première source de saisine de la justice pour défendre la nature et ont empêché de nombreux projets destructeurs de zones humides, d’espaces remarquables.

Et si les associations ne font pas respecter le droit de l’environnement, qui le fera ? Caussade et les captures accessoires de cétacés en sont des exemples concrets. Si pour Caussade, l’État peine toujours à appliquer les décisions de justice, pour les captures accessoires, la décision du Conseil d’État en 2024 a permis que l’État applique, enfin, la fermeture des techniques de pêche les plus destructrices sur une période ciblée.

«S’il y a moins de recours, les projets iront plus vite !»

Malheureusement, cela ne se vérifie pas. Aujourd’hui, les citoyen·nes sont de plus en plus conscient.es des liens entre santé et environnement et de l’urgence de préserver notre cadre de vie. Nous sommes tous intimement concernés par la qualité de notre air, de notre eau, de notre alimentation mais aussi par la biodiversité qui nous entoure du fait de notre dépendance aux équilibres écologiques. Il est donc légitime qu’elles et ils veulent pouvoir agir quand leur environnement subit une pollution. Empêcher de résoudre un conflit devant les tribunaux ne fera pas disparaitre l’opposition aux projets les plus polluants. Au contraire, supprimer cette voie d’action ne fera qu’exacerber la frustration, le sentiment d’injustice. C’est pousser à la radicalisation, prendre le risque d’orienter les insatisfactions vers de moyens potentiellement plus violents.

Confronté.es à une injustice, à une violation de ses droits ou de l’intérêt général, il est essentiel qu’un individu dispose de recours légaux pour agir.

«La justice doit aller plus vite !»

Ça, c’est vrai ! Nous sommes les premiers à le dire. La justice manque clairement de moyens humains pour traiter les affaires environnementales, qui ne sont pas toujours jugées prioritaires… Mais les mesures prises ces derniers temps ne seront pas efficaces pour cela. Elles ont déjà été expérimentées dans d’autres domaines, sans que leur efficacité ne soit démontrée. Il ne suffit pas d’enjoindre à des juges déjà débordé.es de travailler plus vite pour que cela marche. D’autant que leur charge de travail sera accrue du fait de ces nouvelles mesures, qui dans les faits aboutissent souvent à des dossiers plus lourds et moins bien préparés. Alors quelle réelle solution pour accélérer la justice ? Plus de moyens humains dans les tribunaux, des audiences dédiées, un référé sans conditions d’urgence … On a plein d’idées à proposer !

«Aujourd’hui, il y a trop de procès pour l’environnement»

Complètement faux ! Le contentieux de l’environnement ne constitue qu’une très faible part de l’activité des juridictions pénales, oscillant actuellement entre 0,5 % et 1 % des affaires traitées. Un chiffre en baisse continue ces dernières années, alors que les enjeux et les risques en lien avec l’environnement sont majeurs et que les préoccupations des citoyens qui en résultent sont légitimes. Le taux de classement sans suite et le taux d’abandon des poursuites en cours de procédure sont beaucoup plus élevés en matière environnementale que pour la moyenne des délits. Devant les cours administratives d’appel, l’ordre est de 2%. L’environnement est donc plutôt un parent pauvre de la justice, surtout en matière pénale, à renforcer d’urgence vu l’importance des enjeux ! Des magistrat·es elles et eux-mêmes témoignent du fait que lorsqu’ils doivent se spécialiser sur nos sujets à moyens constants cela ne permet pas de traiter toutes les affaires malgré leur ampleur et leur intérêt.

L’accès à la justice : un droit fondamental que FNE défend avec force

C’est un moyen d’action légitime pour les associations, une façon qui peut être efficace, démocratique et pacifiste pour protéger l’environnement. Les associations de France Nature Environnement continueront à l’utiliser et à le défendre pour lutter contre l’impunité et défendre l’intérêt général.