La sobriété : définition, enjeux et impacts

Publié le 18 octobre 2022

Notre société est aujourd’hui en « état d’ébriété », c’est-à-dire dopée à la consommation de ressources : nous en consommons beaucoup trop, et plus que ce que notre planète est capable de reconstituer. Face à ce constat a émergé le concept de « sobriété », désormais omniprésent dans les médias et dans les discours publics. Souvent interprétée à tort comme synonyme de privation, de décroissance ou de retour en arrière, la sobriété se définit plutôt comme la recherche d’un équilibre entre besoins et ressources disponibles. C’est donc un levier indispensable pour une transition vers un monde plus juste et plus soutenable.

Pour France Nature Environnement, des mesures structurelles et collectives fortes en matière de sobriété nous permettront de faire évoluer l’empreinte écologique de la France, qui est de presque 3 planètes par an aujourd’hui, vers 1,5 planète en 2030 puis 1 planète à l’horizon 2050.

C’est quoi la sobriété ?

Garantir le bien-être de tous en respectant les limites planétaires

Dans son dernier rapport publié en avril 2022 et dédié aux solutions pour limiter les impacts de la crise climatique, le GIEC consacre pour la première fois un chapitre entier à la sobriété qu’il définit sobriété comme «l’ensemble des mesures et de pratiques quotidiennes qui permettent d’éviter l’utilisation d’énergie, de matériaux, de terres et d’eau tout en garantissant le bien-être de tous dans le cadre des limites planétaires» (6^e rapport du GIEC - résumé pour décideurs).

Changer nos habitudes et adopter un mode de vie plus sobre grâce à des engagements individuels, sociétaux et politiques nous permettrait de réduire nos émissions de 40% à 70% d’ici 2050. C’est un levier prioritaire pour une transition écologique et solidaire réussie, et pour faire face aux défis environnementaux actuels.

Vers un modèle de société plus juste

Parler de sobriété, c’est donc proposer un nouveau modèle de société qui permet à la fois de répondre aux enjeux environnementaux, en respectant les limites planétaires, mais aussi aux enjeux sociaux, en garantissant à chaque personne de vivre dignement.

Il s’agit de questionner tout d’abord nos besoins et de réfléchir aux usages des ressources, afin de privilégier les usages utiles et vitaux, qui satisfont nos besoins réels, et de limiter les usages futiles voire nuisibles, pour aller vers une société soutenable, une société de la « juste quantité ».

La théorie du donut, élaborée par l’économiste américaine Kate Raworth, définit une économie durable en conjuguant la satisfaction des besoins humains et le respect des limites planétaire.

Une société sobre, d’après Kate Raworth, permet à l’humanité de vivre dans un espace « sûr et juste », situé entre deux limites :

un plancher social : le niveau minimum de services qui permet de satisfaire les besoins vitaux et d’assurer à l’ensemble des êtres humains une qualité de vie digne ;
un plafond environnemental : la quantité de ressources disponibles et renouvelables sur la planète, que nous ne pouvons dépasser.

Avoir une démarche de sobriété, c’est donc modérer globalement la consommation, tout en renforçant les logiques de solidarité et de redistribution.

donut

Pourquoi parle-t-on autant de sobriété ?

Un levier indispensable pour atteindre la neutralité carbone

En France, dans l’ensemble des scénarios de transition énergétique proposés pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la sobriété est incontournable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

À horizon plus proche, en 2030, seuls 2 des quatre scénarios de l’Ademe (« génération frugale » et « coopération territoriale ») remplissent l’objectif de réduction des émissions de GES, en misant fortement sur la sobriété. Et pourtant, ces scénarios n’envisagent pas de baisse de la croissance économique.

Pionnière des enjeux de sobriété, l’association négaWatt publie tous les cinq ans un scénario unique dans lequel la sobriété tient une place importante aux côtés de l’efficacité énergétique et du déploiement des énergies renouvelables. NégaWatt vient de publier 50 mesures de sobriété pour baisser nos consommations d’énergie de 10% en 2 ans.

Une meilleure résilience et une moindre dépendance aux ressources et aux technologies : une société plus sobre sera par exemple moins soumise aux conséquences d’un choc pétrolier car moins dépendante du pétrole, ou d’une pénurie organisée par un Etat en situation d’oligopole sur le gaz.
Une plus grande justice sociale : une société plus sobre permet de garantir une vie décente à tous tout en décourageant les dépenses énergétiques « extravagantes », « inacceptables » ou « nuisibles » qui caractérisent aujourd’hui le mode de vie des plus riches. Selon le GIEC, l’empreinte carbone des ménages les plus riches est 175 fois plus importante que les 10% des ménages les plus pauvres. Les plus riches peuvent réduire leurs émissions en maintenant leur bien-être. En plus de leur surconsommation, ils exercent une incitation à la consommation pour le reste de la population en imposant leurs normes sociales dans l’espace public. Le SUV en est un exemple typique : d’abord réservé à une certaine classe, ce véhicule polluant et surdimensionné s’est largement popularisé.
Une diminution des coûts et donc un bénéfice financier : engager une démarche de sobriété, c’est réduire notre consommation pour se concentrer sur nos besoins, et donc moins dépenser. Si je règle mon chauffage à la bonne température (19°C), que je chauffe uniquement les pièces occupées et que je mets des minuteurs aux interrupteurs de mes bureaux, je réduis ma consommation d’électricité, et donc ma facture (7% par degré en moins !).
Une amélioration de la santé des êtres humains : diminuer notre usage des ressources permet de préserver les écosystèmes et de réduire les pollutions ainsi que les pathologies qu’elles entraînent. À l’échelle individuelle, s’engager dans une démarche de sobriété peut également conduire à faire plus d’activité physique (mobilité active tels que le vélo ou la marche à pied) ou à se nourrir plus sainement (moins de produits transformés, congelés, d’origine animale, moins d’intrants dans les cultures).
Une meilleure qualité de vie et plus de liens sociaux : au-delà des bénéfices en matière de santé, la sobriété permet une transition sociétale vers le « mieux vivre » des populations. Des liens sociaux renforcés grâce au partage d’outils ou d’équipements, un environnement apaisé sans publicités agressives, un rapport au temps plus lent avec une diminution du stress…

Sobriété énergétique : comment réduire notre consommation d’énergie ?

Sobriété : une nécessité individuelle et collective

L’énergie est au cœur des enjeux de sobriété, au point que l’on réduit souvent la notion de sobriété à ce seul volet. Au contraire, des efforts peuvent être faits dans tous les secteurs d’activité et à toutes les échelles pour réduire notre consommation de ressources.

Le GIEC distingue ainsi cinq « moteurs » de la réduction de nos émissions :

Les individus, à travers leurs choix de consommation ;
La culture, à travers les normes sociales et les valeurs ;
Les entreprises, notamment via leurs investissements ;
Les institutions et leurs actions politiques ;
Les changements d’infrastructures.

Si les individus peuvent s’engager à leur échelle dans une démarche de sobriété, leurs efforts doivent être soutenus et amplifiés par des politiques publiques permettant de faire sauter les « verrous d’infrastructure, institutionnels et socioculturels » (Huffington Post, 4 avril 2022). Les différents moteurs doivent donc être activés ensemble.

La notion de sobriété est souvent réduite à sa dimension énergétique. Pourtant, tous les secteurs peuvent bénéficier d’une approche plus sobre, fondée sur une logique « éviter - changer - améliorer » :

Sobriété foncière : il s’agit de mieux utiliser l’espace pour moins artificialiser les sols et préserver leurs multiples fonctions écologiques, avec l’objectif de Zéro Artificialisation Nette en 2050. Lire notre dossier sur le sujet .
Sobriété agricole : l’agroécologie, bien moins gourmande en surface, en énergie, en eau et en pesticides, est un bon exemple de modèle agricole plus sobre. Lire notre dossier sur le sujet.
Sobriété des usages de l’eau : cet été 2022, presque tout le territoire français a été placé en alerte sécheresse, induisant des limitations voire des interdictions de certains usages de l’eau. Une situation qui invite à repenser nos usages pour nous adapter à cette nouvelle donne écologique.
Sobriété numérique : production des équipements, gestion des serveurs, course à la vitesse… Les impacts du numérique, presque invisibles pour les consommateurs et consommatrices, pèsent de plus en plus lourd sur la planète. Lire notre dossier sur le sujet
Sobriété lumineuse : gourmands en énergie et nuisibles à la biodiversité, les éclairages nocturnes publics ou commerciaux peuvent être repensés et réduits. Lire notre dossier sur le sujet

Cette liste n’est pas exhaustive : toutes les activités utilisant des ressources (énergie, matériaux, terres, eau…) peuvent bénéficier d’une démarche de sobriété.

Pour négaWatt, la sobriété revêt aussi plusieurs dimensions :

Un levier serviciel : réfléchir à notre consommation de biens et de services (augmentation de la durée d’utilisation, réduction de la consommation).
Exemples : éviter de changer et jeter mon réfrigérateur s’il fonctionne encore et ne pas acheter l’intégralité des gadgets de cuisine non-indispensables, interdire les publicités incitant à la surconsommation et aux effets de mode (fast fashion par exemple), inciter les entreprises à produire du matériel éco-conçu, réparable et recyclable…
Un levier dimensionnel : dimensionner nos équipements et services en fonction de nos besoins.
Exemples : éviter d’acheter un ordinateur surpuissant si je ne fais que du traitement de texte ou un SUV pour des trajets quotidiens en zone urbaine.
Un levier organisationnel : repenser l’organisation collective pour diminuer nos consommations de ressources.
Exemples : mutualiser les outils (bricothèque) pour éviter d’acheter les outils en multiples exemplaires et utiliser des matériaux d/ mettre en place des politiques de transports favorisant les transports en commun accessibles pour tous, inciter au co-voiturage et à la location de véhicules, etc.

Bâtiment, transports : comment faire la transition vers une société plus sobre ?

À l’échelle de la société, la transition vers un modèle plus sobre nécessite des mesures fortes et un portage politique assumé pour engager le changement de société. Les secteurs du bâtiment et des transports sont les principaux consommateurs d’énergie et les principales sources d’émissions de gaz à effet de serre en France : c’est donc sur eux que doivent porter en priorité les efforts de sobriété.

France Nature Environnement milite activement pour la mise en œuvre de mesures structurelles et pérennes permettant de réduire significativement nos besoins en énergie et en matières dans ces domaines, avec par exemple :

Faire entrer dans la loi l’objectif de sobriété à moyen et long terme pour une société résiliente, avec la mise en place d’indicateurs de suivi nationaux et régionaux et d’instances de concertation ;
Rénover massivement et à un haut niveau de performance énergétique les logements, en ciblant en priorité les passoires énergétiques (classes F et G du DPE). Aujourd’hui seulement 10% des rénovations annuelles sont réellement performantes alors que l’ensemble du parc bâti devra atteindre le niveau BBC d’ici 2050 car les aides à la rénovation ne privilégient pas suffisamment les meilleures rénovations (globales) ;
Limiter le recours à la voiture (encourager le télétravail, revitaliser les centres-villes, lutter contre l’étalement urbain, favoriser les mobilités actives…) et réduire la vitesse sur routes et autoroutes ;
Favoriser le train plutôt que l’avion ;
Interdire l’affichage publicitaire lumineux et réguler la publicité pour des activités polluantes et néfastes pour l’environnement et le climat (une mesure symbolique au regard de l’économie d’énergie générée mais essentielle pour son impact sur les changements culturels) ;
Sensibiliser à l’adoption d’un régime alimentaire moins carné.

Sobriété ou efficacité énergétique ?

En matière d’énergie, les politiques publiques tendent à favoriser des mesures d’efficacité énergétique, consistant à réduire nos impacts grâce à des évolutions techniques et technologiques, plutôt que de remettre en cause nos usages ou le dimensionnement de nos biens et services. Ainsi, éteindre une lumière inutile est une mesure de sobriété tandis que remplacer les ampoules par des LED moins gourmandes en énergie est une mesure d’efficacité.

Les mesures d’efficacité doivent en fait intervenir après les mesures de sobriété : il faut d’abord s’interroger sur les besoins réels d’un service afin de le dimensionner correctement (sobriété), puis améliorer les performances pour réduire encore son impact (efficacité).

Comment agir à mon échelle pour plus de sobriété ?

Si des mesures collectives et systémiques sont indispensables, les écogestes individuels ont également leur utilité, surtout s’ils s’inscrivent dans une démarche globale pour repenser ses besoins. Parmi les pistes d’action à envisager

Commencez par faire le bilan de vos usages pour distinguer le nécessaire du superflu : puis-je consommer moins ? Et pour ce qui m’est nécessaire, puis-je consommer mieux ? Vous pouvez calculer votre empreinte carbone et identifier les leviers d’action les plus pertinents, ou encore adopter la méthode BISOU pour sortir de la surconsommation :

Mon achat répond-il à un vrai Besoin ?
Ce besoin est-il Immédiat ?
Ai-je déjà un article Similaire ?
Quelle est l’Origine du produit ?
Combien de fois le produit va-t-il m’être Utile ?

Plus d’infos sur la méthode BISOU

Comment réduire les impacts de nos actions si on ne les connaît pas ? Une fois que vous avez fait le point sur vos usages et vos besoins véritables, c’est le moment de vous renseigner sur leurs impacts et la manière de les réduire.

Vous pouvez notamment consulter :

les astuces pour réduire la facture d’eau et d’énergie de l’Ademe ;
Ecowatt, la météo de l’électricité ou Ecogaz, le baromètre du gaz, pour savoir à quel moment il est particulièrement important de réduire votre consommation ;
le site Change de banque pour connaître l’impact de votre banque sur le climat (de plus en plus de banques engagées luttent contre l’extractivisme et les financements des énergies fossiles, c’est peut-être le moment de sauter le pas !) ;
notre écoguide de l’automobile pour évaluer vos besoins de mobilité et l’impact de votre motorisation ;
nos conseils pour sortir de la fast fashion ;
nos 50 astuces pour réduire le gaspillage alimentaire.

Mobilisez-vous avec nous pour faire bouger les politiques publiques, en écrivant à votre maire ou votre député·e, ou en soutenant l’action d’associations engagées sur le sujet. France Nature Environnement est un mouvement de plus de 9000 associations : il y en a forcément une près de chez vous !